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20 ans des Chemins de Traverse – discours à la Serrurerie

Le 15 juin 2019 marquait la fin des festivités des 20 ans des Chemins de Traverse. Ce jour-là, à la Serrurerie Romang à Neuchâtel après les spectacles Dragonfly+Danse, j’ai pris la parole aux côtés du Conseiller communal de la Ville de Neuchâtel Thomas Facchinetti. Voici le contenu de mon discours:

« Quelles émotions d’en arriver à cette clôture des festivités marquant les 20 ans des Chemins de Traverse.

Pour fêter cela, nous avons le plaisir de partager cet apéro pour lequel la ville de Neuchâtel a généreusement offert le vin. Ville qui est ce soir d’ailleurs représentée par notre bientôt futur ex délégué à la culture (vous me suivez?) Patrice Neuenschwander ainsi que par Thomas Facchinetti, conseiller communal à la culture, qui prendra la parole juste après. C’est d’ailleurs par ce  subtil subterfuge que nous avons réussi à le dérouter de son agenda de ministre pour qu’il assiste à une de nos créations. Mais à sa décharge, ses différents agents extrêmement efficaces ont régulièrement infiltré nos événements et en digne dirigeant éclairé il a toujours été très au fait de nos faits et gestes, de même que de nos fausses notes! 

Les Chemins de Traverse aiment se définir comme un laboratoire d’impertinence musicale dans lequel évoluent des gens de tous horizons.

C’est un laboratoire, dans lequel on passe des heures à peaufiner un détail que personne ne remarquera consciemment. C’est là que sont développés des outils et boîte à outils pour être réactifs en tout temps et dans des conditions parfois extrêmes.

Un laboratoire où l’on partage sensibilités, doutes et savoir.

Un laboratoire de tous les possibles, car ce qui nous réunit, nous tous qui empruntons ces Chemins de Traverse, c’est que, chemin faisant, nous tentons des choses que nous ne faisons pas ailleurs. La topographie des chemins parcourus et les rencontres que nous y faisons nous poussent à nous dépasser, à essayer des choses que nous n’avons pas osé faire jusqu’ici. Nous nous laissons surprendre, par les autres, par nous-mêmes.

Cette clôture du 20ème, c’est le moment que nous avons choisi pour vous dévoiler en primeur la 5ème édition de notre journal annuel « Le Rapport ». Pour la petite histoire, ce journal est né du fait que nous avons à produire des rapports d’activités pour nos financeurs – dont nous ne savons en toute franchise pas s’ils s’y intéressent vraiment. Nous avons donc décidé il y a 5 ans, de transformer cet exercice rébarbatif en un rendez-vous annuel chargé de sens et que nous partageons plus largement, puisque ce journal, tiré à 3000 exemplaires, est envoyé sur 4 continents, dans 21 pays.

Pour ce numéro nous avons préparé un supplément « spécial 20 ans ». Ça a été l’occasion de nous plonger dans nos archives, dans nos souvenirs.

Archives sonores? Un trésor à nos oreilles! Un certain nombre de répétitions, mais surtout tous nos concerts ont été enregistrées depuis février 2000. Du minidisque, oui oui, en passant par le disque compact (grâce aux chercheurs du centre de dialectologie qui nous mettaient leurs appareils à la pointe de la technologie à disposition) jusque bien sûr aux enregistreurs numériques actuels, ces différents enregistrements seront bientôt mis en valeur dans une nouvelle page du site internet que notre redoutable équipe info-comm’ prépare actuellement – RV le 25.06.2019 pour sa sortie!

Nous avons revu des planches de photos argentiques, quelques négatifs et bien sûr pléthore de photos numériques. Une sélection vous sera aussi accessible par le même biais.

Pour ce supplément spécial 20 ans nous nous sommes amusés à compter. Vous trouverez par exemple les 76 localités de nos 306 représentations publiques faites jusqu’à fin 2018. Nous y avons aussi listé les différents métiers nécessaires à la bonne marche de nos projets. Vous verrez que pour réaliser nos 46 créations il a fallu être polyvalents! Pas peu fiers, on avoue en toute modestie!

Par contre nous n’avons pas mis dans ce supplément quelques événements transversaux à tous nos projets. Imaginez…

Le nombre d’heures passées en repas communs autour de nos projets « On prolonge sur un repas » ou « On se retrouve avant la répétition pour manger ensemble » étant un joyeux refrain commun à tous nos projets.

Ou alors le nombre de fois où nous avons serré dans nos bras l’un ou l’autre de nos collègues, accolade de félicitations après un moment musical particulier partagé, après des confidences qui par essence naissent de nos mises à nu artistiques, après une craquée parce que les émotions et la pression étaient tout simplement trop fortes. Accolades parfois aussi avec des gens du public, connus ou non, après nos prestations.

Imaginez aussi le nombre impressionnant d’échanges très émouvants et intimes que notre public nous a offert au sortir d’un moment partagé, je pense ici notamment au projet « La douce et l’amère – les facettes de la mort » où nous avons ajouté un membre à l’équipe, pour après les spectacles recevoir leurs récits et expériences autour de la mort et ainsi alléger les artistes qui avaient déjà tout donné sur scène.

Combien pensez-vous qu’il y a eu de litres de larmes qui ont coulé au long de ces années? Larmes d’émotion, de bonheur, de désespoir ou de doute aussi.

Ou encore imaginez les milliers de kilomètres que nous avons tous parcourus pour réunir les personnes qui construisent les projets, pour réunir notre public venant de loin ou moins loin déguster et vivre ces projets. Ceci bien sûr à toute heure du jour et de la nuit.

Réfléchissez aux heures que nous avons passées à nous parler à distance, du téléphone fixe – avec fil je vous en prie – à la vidéo conférence par dessus les frontières et les océans, pour nous coordonner, partager nos idées et envies artistiques, pour évoquer nos doutes et nos recherches du moment.

Ce que vous avez imaginé là est peut-être, en complément aux bonheurs artistiques que nous vivons, un bout de réponse à la question que cet entrepreneur devenu millionnaire grâce à ses projets innovants m’a un jour posé: « Mais pourquoi vous continuez alors que vous ne gagnez presque rien? ».

En effet, arrivez-vous à estimer les heures non payées que tous les artistes ont offerts pour la réalisation de ces projets – car je vous le rappelle, les plus gros financeurs de la culture sont bien les acteurs culturels eux-mêmes!

Aujourd’hui, nous sommes très émus de clore ces festivités dans cette serrurerie, nous qui nous revendiquons artisans-musiciens. Chaque jour nous remettons sur l’établi notre matière première, le son et le souffle.

Nous nous revendiquons artisans-transmetteurs – Dans cet atelier vous trouvez des outils qui ont été et sont utilisés par plusieurs générations de serruriers (j’ai eu le plaisir d’en côtoyer 3 générations ici). Aux Chemins de Traverse, les générations ne sont pas de sang, mais de cœur. Les participants aux ateliers des Chemins de Traverse l’année dernière avaient entre 4 et 85 ans.

Nous nous revendiquons artisans-chercheurs – tâtonnant pour inventer le futur dans le présent, nous appuyant sur le passé.

Nous nous revendiquons artisans-musiciens de l’intime. Nos objets artistiques se consomment en groupe, mais pas en foule. Ils ont leur force grâce aux échanges possibles dans cette intimité, par cette confiance mutuelle que nous pouvons ainsi nous offrir les uns les autres, entre artistes ou avec le public, parce que nous prenons le temps et la place de nous rencontrer et de cheminer ensemble.

Pour ces échanges, pour ce chemin parcouru, pour cet enrichissement humain et artistique, nous vous disons MERCI. Merci pour hier, merci pour aujourd’hui aussi. Et déjà, merci pour demain. »